Depuis ses débuts, Gisèle Vienne s’est intéressée à la façon dont nos cultures contemporaines composent avec des puissances ou des pulsions plus ou moins archaïques. D’autant plus intenses qu’elles sont socialement « inconvenantes », elles surgissent souvent à la frontière entre l’organique et le psychique, en ces points décisifs identifiés par Georges Bataille – mort, érotisme, violence – où le vivant est confronté à ses limites. Historiquement, elles ont pu être prises en charge, canalisées, par des rituels d’ordre religieux, tels que le sacrifice ou la transe chamanique. Elles le sont aussi aujourd’hui au moyen de langages artistiques réinventés par chaque génération (punk, rap, house...), qui travaillent à rendre possible ce que le psychologue Bernard Rimé – autre référence importante dans la réflexion de la chorégraphe – appelle « le partage social des émotions ». Crowd présente ce partage avec une acuité inouïe, et confirme un tournant important dans le travail de Gisèle Vienne. Pour la deuxième fois après The Ventriloquists Convention (2013), elle plonge les intimités dans l’espace d’un groupe. Les interactions entre les quinze individus embarqués sur ce « grand huit émotionnel » donnent à lire au moins autant de micro-histoires secrètes ou exposées, orchestrées en complicité avec l’écrivain Dennis Cooper. Traits qui échappent ou signes délibérés, points d’orgue collectifs et éclats de singularités tissent un infra-texte fascinant qu’il nous appartient de saisir au vol, rythmé à la fois par la bande-son de Peter Rehberg et par le montage quasi filmique des « mouvements retouchés » par Gisèle Vienne. Traversé de ralentis, de reprises, de saccades, Crowd est un incessant travelling qui conduit nos regards du détail au plan large, du réel aux fantasmes, en altérant vertigineusement le cours même du temps. Projet partagé avec Le Dancing CDCN Dijon Bourgogne-Franche-Comté, dans le cadre du festival Art Danse 2022.
Types
- Danse
- Art et spectacle